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Mycélium

  • Photo du rédacteur: sandrine perroud
    sandrine perroud
  • 1 déc. 2023
  • 4 min de lecture

Champignons et cerveaux
© iStock

- Les Aztèques l’appelaient la chair des Dieux

- La chair des Dieux ?


Lise avait démarré son récit avec emphase. Elle donnait à chaque mot une résonance profonde, comme si elle était sur le point de me révéler l’un des secrets les plus gardés de l’univers. Je lui connaissais bien cet air enthousiaste et comploteur, annonciateur d’une envie irrépressible de me partager son obsession du moment. De me raconter quelque chose qui allait me faire peur ou m’étonner, comme lorsque nous étions enfants.


J’avais du mal à quitter ses grands yeux bruns écarquillés. Mon regard était toutefois attiré par la fenêtre du train qui laissait éclater dans toute sa splendeur le lac illuminé par un soleil brûlant qui en accentuait tous les contrastes.


- On pense qu’ils existent depuis toujours, mais leurs premières traces remontent à 7000 ans. Les hommes ne sont pas les seuls à les manger volontairement. Les chevaux, les chiens et nos cousins les singes le font aussi. Tu ne trouves pas ça incroyable ?


Lise dévorait un best-seller du New York Times sur le renouveau des psychédéliques. Dans la recherche scientifique, notamment. Il paraissait clair aux chercheurs que ces substances étaient de puissants appuis pour traiter les addictions, la dépression et libérer de la peur de la mort les patients en fin de vie. Ce dernier point attira mon attention alors que je détaillais les centaines d’embarcations blanches qui voguaient sur les flots tranquilles du Léman comme autant de petites étoiles scintillantes.


Nous descendîmes à la gare de Grandvaux. Nous avions prévu de revenir à pied jusqu’à Rivaz. Nous prendrions ensuite à nouveau le train pour rentrer chacune chez nous. Cette promenade dans le Lavaux était devenue une sorte de tradition, au cœur de l’été. Un moment volé à la frénésie de nos vies somme toute banales, mais inexplicablement compliquées. Une manière aussi de rappeler l’importance de notre vieille amitié, envers et contre tout.


Le Lavaux et ses milliers de ceps de vigne chargés de raisin, son odeur de terre et de pierre irradiées par une succession de journées de canicule, me parvinrent en une bouffée d’air étourdissante, alors que nous empruntions les chemins escarpés du village viticole en direction de l’immense toile d’araignée que formaient, sous nos yeux, les kilomètres de verdure triomphante du vignoble.


- Et ton livre, est-ce qu’il explique comment un trip sous LSD peut aider les personnes dépressives ?


Mon amie comprit mon intérêt sur le sujet. La dépression était elle aussi une vieille connaissance. Après avoir vérifié sur son téléphone si la baby-sitter n’avait pas cherché à la contacter, Lise poursuivit son récit avec la même emphase.


- Oui, le LSD peut les aider. Apparemment, un tel trip amène souvent ses voyageurs à expérimenter l’amour dans sa forme la plus absolue…

- Mouais… un amour un peu solitaire, non ?

- Non, juste différent. Contrairement à l’alcool que produiront tous ces raisins, ces psychédéliques ne sont pas des substances addictives. Un seul trip, idéalement avec un psy, peut te faire changer de perspective sur le monde et changer ta vision du monde.


Lise enchaîna sur une description du mycélium, alors que nous nous installions à une table de pique-nique ombragée jouissant d'une vue imprenable sur le lac. Le mycélium était un réseau de filaments souterrains qui reliait les champignons entre eux. Il leur servait à échanger des informations et de la nourriture. Je n’étais plus très sûre de la suivre ni de savoir où elle voulait en venir avec tout ça.


- Où est-ce qu’ils poussent, tes champignons magiques ?

- C’est là que ça devient intéressant. Ils poussent surtout sur les terrains dégradés, pollués, qui ont subi des inondations, une éruption volcanique… bref, une catastrophe.

- On risque de n’avoir plus que ça à manger !

- Exactement. Et peut-être que l’humanité s’en portera mieux. Tu sais, les récits de trips sous psychédéliques témoignent souvent d’une dissolution de l’égo qui fait voir le monde avec plus de sérénité.


Nous reprîmes notre route en direction de la gare. L’imagerie cérébrale de patients sous LSD révélait que des connexions inédites se produisaient grâce à ces substances qui provoquait une expérience de synesthésie. En gros, l’impression de ne faire qu’un avec la nature et l’univers. Ces cerveaux-là ressemblaient à ceux des enfants de moins de 5 ans, connus pour leur grand pouvoir d’absorption de connaissances, ce qui ouvrait de nouvelles perspectives de recherches. L'image du fils de Lise me traversa l'esprit. A l'âge de trois ans, il passait la majeure partie de son temps à se prendre pour un escargot. Cet enfant était donc dans un trip psychédélique permanent.


- Est-ce qu’on sait à quoi les molécules hallucinogènes servent aux champignons ? Est-ce qu’ils repoussent leurs prédateurs grâce à elles, par exemple ?

- Et bien non, justement. Les plus fervents admirateurs du phénomène pensent que ces champignons ont été créés pour nous, les humains. Pour nous aider à changer nos manières de considérer la vie et la mort, pour nous guérir de l’égo. Pour nous rappeler que nous ne formons qu’un avec la nature et l’univers…

- Pour nous aider devenir moins con ?

- C’est ça.


Le récit de Lise m’avait transporté dans un abîme de réflexions. Et de délire, ma nature étant aisément portée à imaginer à partir de ce type d’informations un nouvel ordre mondial. Des immenses territoires dévastés par les feux de forêts, les ouragans, les inondations et les tremblements de terre se recouvraient de champignons hallucinogènes. Les humains qui auraient tout perdu de leur civilisation les consommeraient comme lot de consolation et comme cadeau de la nature les appelant à plus de sagesse. Un trip obligatoire de LSD sous contrôle médical serait désormais exigé de tout nouvel élu politique, juge et CEO. Tous les dix ans, nos anniversaires se fêteraient par un grand voyage psychédélique au-delà de notre quotidien. Juste pour être sûrs de ne pas s’enliser dans nos certitudes et nos préjugés dans la décennie à venir.


Dans le train du retour, Lise rédigeait nerveusement des messages organisationnels à son compagnon pour la soirée. Le soleil couchant recouvrait le ciel et le lac d'un voile rose et orangé. Autour de moi, les autres passagers avaient eux aussi les yeux plongés dans leur téléphone ou l’air absorbé par la musique que diffusaient leurs écouteurs.


En ce premier quart de siècle, Internet avait l’air de jouer le rôle de mycélium entre nous. Je ne savais pas s'il nous reliait les uns aux autres ou s'il nous éloignait les uns des autres. Mais l'heure du grand trip ne semblait pas encore venue.



 
 
 

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